Pour un retour des forcenés de la critique

Publié le par Louis

Existe-t-il encore de nos jours des critiques littéraires dignes de ce nom ?
 
 Tout le monde reconnaît que l’esprit critique est l’essence même du journalisme. Si cet esprit plane encore au-dessus des rédactions de la presse littéraire, son souffle semble par contre au point mort. En pastichant Barrès, l’on pourrait même se permettre de dire qu’il est des lieux où s’essouffle l’esprit.
 
Pourquoi les critiques se sont tant assagies ? 

Les journalistes seraient-ils devenus polis, trop gentils, voir serviables ?Le goût de la polémique, l’art de la plume trempée dans le vitriol leur ferait peur ? A moins que le contexte de liberté totale de la presse n’ait eu raison a long terme de leur côté vindicatif ?
 
  Est-ce pour ne point vexer la mignonne attachée de presse avec laquelle on a dîné hier soir ? Ont-ils peur de ne plus recevoir d’office de généreux service de presse, qui atterriront illico presto dans les bacs des soldeurs, quinze jours avant la parution officielle du livre ? Parce qu’elle ont déposé un manuscrit chez leur éditeur favori ? Parce qu’ils ont peur d’un procès s’ils vont trop loin dans le jeu de massacre ? Parce que les journées ne font que 24 heures et qu’ils préfèrent réserver leur temps de lecture aux livres qu’ils ont l’habitude de lire, sans prendre le risque de changer d’univers ? 
 
 A moins qu’il ne faille mettre tout cela sur le dos du microcosme parisien, un milieu ou les relations auteurs-éditeurs-critiques sont entremêlées de manière inextricable comme les fils multicolores du fournisseur d’accès internet crétin.fr.
 
Manifeste pour une critique littéraire pleine de panache
 
 Critiques littéraires, sortez de votre torpeur ! Ce que nous désirons le plus au monde, c’est de ne plus voir de vulgaires résumés de bouquins dans les colonnes de nos journaux. Vous avez le droit de vie ou de mort sur un livre: usez et abusez donc de ce pouvoir, n’est-ce point votre privilège ? Mais par pitié, cessez donc de nous pondre ces articles amicaux, neutres ou insipides. La littérature, ce n’est pas la bourse, encore moins la météo…vous n'avez pas aimé un roman, il vous a fait perdre des heures précieuses de lecture, alors vengez-vous ! Criez donc votre colère à la face de vos lecteurs. De toute façon, si un livre est mauvais, le ridicule ne tuera point l’auteur, vous en êtes assurés, le temps des romantiques est bien révolu...
  
Devenez ce que vous êtes
 
 Ce que nous vous demandons, chers critiques, c’est tout simplement de faire votre métier de critique. Soyez insolents, iconoclastes, injustes, partiaux, odieux, cyniques, décalés, démesurés, grotesques, outranciers, mais soyez. Etre ou ne pas être ou comme l’affirmait si bien Nietzsche : devenez ce que vous êtes. N’ayez pas peur de votre ombre… Puisez vos mots dans le magma de vos émotions. N’ayez crainte de plonger la tête la première dans le fleuve trop tranquille de la littérature. Puissiez-vous détourner son cours vers l’abîme qui le changera en torrent impétueux. 
 
Ceci n’est pas de la littérature
 
Un ouvrage de Sylvie Yvert arrive à point nommé pour nous rappeler que la langue de la critique littéraire n’a pas toujours été politiquement correcte. « Ceci n’est pas de la littérature… Les forcenés de la critique passent à l’acte. », tel est le titre de son recueil.
 
 Un véritable travail de recherche pour l’auteur qui a su dénicher dans les archives de la presse les critiques les plus assassines d’auteurs aujourd’hui classiques. Une manière de voir combien les œuvres actuellement étudiées à l’école ont été loin de faire l’unanimité de leurs contemporains. C’est également un ouvrage utile pour inviter nos critiques modernes à se renouveler et surtout ne plus mettre leur langue dans leur poche ! En voici un petit florilège :
 
-Victor Hugo vu par Claude Tillier en 1844 :
 
 « On l’écoute comme les paysans écoutent à la messe le plain-chant de leur curé sans se   soucier de savoir ce qu’il dit, et persuadés qu’il nous dit de belles choses. »
 
-Victor Hugo achevé par Anatole France en 1887 :
 
 « Il vécut ivre de sons et de couleurs, et il soûla tout le monde. »
 
-José Maria de Heredia cassé par Edmond de Goncourt :
 
 « C’est un feu d’artifice sur lequel il a plu. »
 
-Balzac critiqué dans le Charivari en 1837 :
 
 « Le sire de Balzac écrit et parle un grand nombre de langues… Nous citerons entre autres l’Indostan, le Tartare, le Manchou, et surtout le Charabia. »
 
-Alcools d’Apollinaire descendu par Georges Duhamel en 1913 :
 
 « Rien ne fait davantage penser à une boutique de brocanteur […]. Je dis : boutique de brocanteur, parce qu’il est venu échouer dans ce taudis une foule d’objets hétéroclites […]. C’est bien là une des caractéristiques de la brocante : elle revend ; elle ne fabrique pas. »
 
Même s’ils n’y allaient pas de mainmorte, ces critiques avaient cependant en commun la particularité de ne point juger ces œuvres autrement que sur leur qualité littéraire. C’est pour cela que nous laisserons le mot de la fin à Oscar Wilde :
 
«  Il n’existe pas de livre moraux ou immoraux. Les livres sont bien écrits ou mal écrits. C’est tout. »
 
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Publié dans Point de vue

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Z
   Critiquer,oui ...mais la critique ne doit pas être uniquement assassine !Si elle se fait un malin plaisir d'éreinter les auteurs, ce n'est plus de la critique !!C'est peut-être aussi un gagne-pain ...le fauve qui dévore l'agneau ... N'oubliez pas que la critique est facile, si l'art est difficile ...Enfin, combien de critiques ne supportent pas que l'on ose les critiquer eux-mêmes ?
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L
Je doute beaucoup, néanmoins, que ces livres qui-changent-la-vie puissent être indifféremment les mêmes pour tout lecteur; affirmation qui repose sur le postulat selon lequel chacun aurait les mêmes goûts et inclinations. Que chacun attendrait la mâme chose au moment précis de déployer une couverture...C'est évidemment une fiction: vous le dites de manière argumentée dans u autre message. Ces listes et autres compilations sont, hélas, des coups marketing - du moins à mon avis.bravo pour votre blog, très intéressant !
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