Une orientale extrême...

Publié le par Louis

Mikrokosmos
Asuka Fujimori, Flammarion
 
 
Une « Geisha sauvage »
 
Asuka Fujimori, une japonaise au talent débridé, qui passe la langue française à la moulinette pour aboutir à ce chef d'oeuvre d'humour noir. Ses plus fervents adeptes l'ont déjà surnommée la Geisha sauvage, tant son style donne l'impression d'une douche écossaise. En alliant l'érudition historique avec un langage à la fois parlé et très cru, cette jeune plume impose un style à rebrousse poil pour le plus grand bien de la littérature.
 
Le déplorable clan Soga …
 
Mikrokosmos est l'histoire d'Hitachi Soga, un génie des sciences de modeste extraction. Né sous l’ère Meiji, il est le fils d’une insatiable nymphomane et d’un vendeur de faux sabres de Samouraïs. Cette petite créature incolore et inodore fut trop malmenée par ses camarades de classe pour ne pas finir obsédé par de prétendues origines aristocratiques. Il serait d’après les dires de son honorable mère le dernier descendant des Soga, une dynastie d'empereurs qui régnèrent aux tout temps du Japon médiéval. 
La chronologie officielle a retenu de cette période l'introduction du bouddhisme au pays du Soleil Levant. Mais c'est là le rare point positif que laisse paraître Asuka Fujimori. Car lorsqu'elle évoque cette lointaine période dans son roman, entre deux chapitres consacrés aux Soga du XXème siècle, c'est pour en donner une image des plus déplorables. La dynastie des Soga ne serait d'après elle qu'un ramassis d'empereurs assassins, fous, débiles mentaux ou obsédés sexuels, et de princesses aussi capricieuses que cruelles. C'est d'ailleurs lors de ces retours en arrière, que le style de l'auteur se lâche le plus, foulant des pieds sans remords ce qui lui restait d'autocensure.
 
… Disparaît dans les cendres d’Hiroshima
 
Malgré ce lourd passif générationnel, le jeune Hitoshi proclame avec fierté son appartenance au clan Soga. Et comment ne pas l'être quant on est le fils d'un combattant mort en héros lors de la guerre russo-japonaise de 1905 ?
D'ailleurs, un heureux mariage de circonstances avec la puissante famille Mitsubishi sort de l'ornière ce petit rejeton et donne un sérieux coup de pouce à sa carrière universitaire. Les services secrets, fortement intéressés par les applications militaires de son savoir, ne vont pas tarder à faire appel à ses services et lui dressent pour cela un pont d'or.
Mais un abominable secret tardivement dévoilé aura raison de son ascension fulgurante. Il finira incarcéré en 1945 dans la ville d'Hiroshima avant de figurer sur la longue liste des victimes de la première bombe atomique de l’histoire, ce dernier étant bien le seul à mériter un pareil sort.
 
Secouer le cocotier japonais…
 
Avec Mikrokosmos, le temps des livres coup de poing semble dépassé. La dénomination de roman choc paraît même bien faible. Ouvrir ses pages pour la première fois et de manière passive, est aussi risqué que de poser innocemment son transat sur une plage thaïlandaise le jour du tsunami. 
Nos yeux occidentaux fatigués de l’autofiction littéraire débordant des poubelles parfumées de Saint-Germain des Prés, avaient besoin de cette authentique et inventive œuvre littéraire. Le plus grand et néanmoins le plus simple compliment que l’on puisse faire à l’auteur, est d’avoir su créer un univers. Un travail d’artisan qui devient de plus en plus rare et précieux… 
Le romancier doit être avant tout un créateur. Il a pourtant la fâcheuse tendance ces derniers temps de n’être plus qu’un simple fabriquant de miroirs à la chaîne. Ces clones passés maîtres dans l’art d’exprimer leur vécu, finissent à la longue par se mordre la queue. Comme ils font peine à voir ! 
Le talent prometteur d’Asuka Fujimori n’est tout de même pas exempt de quelques bémols. Son éducation européenne (devrions-nous dire influence) l’a sans doute préparée à écrire cette vision irrévérencieuse et dépoussiérée du pays du Soleil Levant.
Il est normal que son livre ait froissé plus d’un japonais bien élevé, de Kiushu à Hokkaïdô. Gardons-nous cependant de l’usage abusif que les professionnels du prêt à penser pourraient en faire.
 
… Mais pas trop !
 
Accordons leur que le cocotier japonais a rudement besoin d’être secoué. Asuka Fujimori semble le faire sans ménagement. Nul doute que bien trop de poussières se sont accumulées au cours des siècles sur l’arbre vénérable. Mais que les jeunes plumes nippones se gardent de trop le malmener. Une fois gisant au sol, ses dépouilles seraient la proie d’utopistes avides d’expérimenter sur de dociles cobayes ces théories généreuses et émancipatrices qui ont marqué le Vieux Continent au fer rouge. 
N’oublions pas qu’à l’instar de la Chine, la continuité exceptionnelle de la civilisation nippone reste un miracle historique sans précédent. Celui-ci repose sur la sagesse d’un peuple qui a su absorber les éléments extérieurs vitaux sans pour autant menacer son équilibre et son intégrité. Sagesse qui permet aux japonais, encore de nos jours, d’être à la fois de confession Bouddhiste et Shintoïste, la tradition ayant conservé le meilleur des deux voie philosophiques. Imagine-t-on un seul instant une âme européenne qui serait restée à la fois chrétienne et païenne, ce processus lui évitant de subir au fil des siècles les lourdes conséquences d’une funeste hémiplégie spirituelle ?

Publié dans Romans

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E
Je suis tout à fait d'accord, une envie de lire comme une envie de dévorer un bon gâteau, une histoire rebondissante un style limpide mais un arrière goût amer, <br /> j'ai beaucoup de mal à le recommander à quelqu'un, le trash doit avoir ses limites malgré tout le talent qu'on peut y mettre autour!<br /> bravo pour l'article!
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N
un bel article au ton très juste ! en qualité d'amatrice de littérature orientale , je me souviens d'avoir abordé Mikrokosmos avec gourmandise et m'être retrouvée très vite avec une arrière-note douce-amère en bouche !!Je crois n'avoir jamais pu le conseiller en lecture à personne d'autre qu'un ami boulimique lecteur au même degré de pathologie que moi !!
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